Histoires d’images, images d’histoires

Léonard Félix associe ses peintures et ses graphites à la photographie. Ce médium est en effet sa source d’inspiration, que ce soit par le biais de ses propres prises de vue ou de celles de photographes célèbres (Walker Evans, Lee Friedlander). Son point de départ a été de se réapproprier des images d’archives, lorsqu’il était en poste au Service archéologique de la République et Canton du Jura.

Archives. Histoire. L’artiste aime se plonger dans les livres traitant de divers sujets historiques, s’arrêtant en particulier à leurs illustrations. Mais il connaît aussi une autre histoire, celle de la peinture. De plus, il aime séjourner ailleurs et photographier d’autres lieux, d’autres cultures : Barcelone, l’Asie ou l’Inde. Ses références sont multiples.

 

L’architecture comme objet à transcender

 

En 2001, lors d’un séjour de création dans l’atelier d’artiste de Barcelone mis à sa disposition par la République et Canton du Jura, Léonard Félix abandonne la figure humaine présente dans son œuvre antérieure pour se concentrer sur l’architecture. Pas celle des hauts lieux touristiques, mais celle des quartiers périphériques, plus marginale. Il la photographie en gros plan, puis la peint et s’éloigne alors de sa source photographique. Il considère son sujet comme un objet à analyser dans la lignée du Bauhaus, selon les principes qu’il a appris lors de sa formation à la Schule für Gestaltung de Bâle (cours préliminaire de dessin donné par Mario Bollin).

Dans les toiles de Léonard Félix inspirées par ce séjour barcelonais, l’image est construite par la ligne et par des strates de peinture superposées, posées en couches transparentes. Le coloris est fondé sur un équilibre chaud/froid. La réalité sordide des sujets disparaît au profit de l’univers magique du pictural. Une forme de transcendance qui est traversée par une impression de solitude due à l’absence de personnages. L’artiste se passionne d’ailleurs pour les thèses de Daniel Arasse sur l’histoire de la peinture. Entre autres celles qui traitent de la représentation de l’Annonciation dans le système de la perspective euclidienne.1

L’image comme « révélation »

 

En 2008, c’est avec le graphite que l’artiste commence à explorer d’autres pistes. Il recouvre son papier de gris anthracite, puis enlève les lumières à la gomme, selon une pratique courante dans ce médium.

Cette technique évoque pour lui une « révélation » de l’image, au m^me titre qu’elle surgit sur le papier grâce au « révélateur » dans la photographie argentique. Cette idée est d’ailleurs à la source de l’histoire de la photographie. L’anglais William Henry Fox Talbot (1800-1877) fit apparaître des dessins « photogéniques »(photogrammes) à partir de 1834, en posant des objets sur du papier photosensible exposé à la lumière. Mais Léonard Félix n’associe pas seulement ses graphites à l’image photographique. Il cite aussi un principe de la peinture baroque : partir du sombre pour l’éclairer par des lumières spectaculaires afin de mieux illustrer toutes sortes de « révélations » religieuses.

« Révélation ». Image comme dévoilement. C’est alors que Léonard Félix se tourne brièvement vers le mobilier : chaises ou canapés. Ce sujet, isolé, devient une figure. L’image picturale est trouble, fantomatique. Puis l’architecture s’impose à nouveau. Rampes, temples, bâtisses sont traités comme les meubles auparavant. Au gros plan- qui permettait aux bâtiments barcelonais d’occuper toute la surface de la toile- succède la mise à distance. Le peintre choisit un plus grand angle. L’architecture devient à son tour une figure –fantôme, une apparition.

 

Panoramas et suite d’images

 

Récemment, c’est le paysage pur, sans architecture, qui a surgi. Il apparaît dans un flou laiteux, tout en douceur et dominé par des gris bleutés des lointains et du ciel. Le point de vue éloigné des panoramas peints, tels celui des Bourbaki (1881-1885), réalisé sous la direction d’Edouard Castres (1838-1902). Une perception du paysage qui était aussi celle du peintre romantique allemand Caspar David Friedrich (1774-1840), par exemple dans son moine au bord de la mer (1810).

Nouvelle vision du paysage donc chez Léonard Félix où transparaît toujours la question existentielle de la solitude humaine, mais aussi celle du nouveau rapport aux images : il pratique l’illustration, la bande dessinée, le décor de théâtre, s’intéresse au cinéma – Eisenstein, Fellini et d’autres. C’est donc ce récit, la suite d’images qui l’attire, ce qui caractérise d’ailleurs la photographie de reportage illustrant les livres d’histoire.

Dans la grande salle du Musée jurassien des arts de Moutier lors du duo avec Charlott e Beaudry, ses toiles n’apparaîtront sans doute pas seulement comme des paysages distincts. Elles formeront aussi un ensemble : un panorama ? un décor de cinéma ? un film sans personnages ? En tout cas, une suite de « révélations » floues, lointaines face aux figures et aux objets intensément présents dans les gros plans picturaux de l’artiste belge.

 

Valentine Reymond, 2011

Lien vers Duos d’artistes, Musée jurassien des arts Moutier